Explosion de la livraison à domicile
Avec la fermeture des restaurants pendant les confinements, les formules take-away ou livraison à domicile auront constitué le seul moyen pour les restaurants d’engendrer des revenus (ou de limiter la casse). Bien sûr, l’essor des sociétés de livraison date d’avant la pandémie. Quel citadin n’a jamais commandé chez UberEats, TakeAway, AlloUgo et autres Deliveroo ?
Mais la COVID-19 a dopé la demande de repas livrés, et pas uniquement chez les millenials. Et avec la multiplication des restaurants partenaires, les apps précitées ont vu exploser leurs chiffres :
- Rien que pendant le premier confinement, UberEats a vu grimper son chiffre d’affaires de 53 %.
- Et pour ne donner qu’un exemple européen : en Suisse, UberEats a vu le nombre d’établissements partenaires doubler entre janvier et fin juin 2020, par rapport au premier semestre 2019.
- Globalement, l’appli Takeaway.com a enregistré 32 % de commandes supplémentaires au cours du premier semestre 2020, ce qui a occasionné un bond de 44 % de son chiffre d’affaires.

Ghost ou dark kitchens : le resto limité à sa cuisine
La livraison à domicile pourrait-elle devenir la formule food préférée ? Certains parient d’ores et déjà sur cette hypothèse. Et notamment les ‘ghost kitchens’, ‘cloud kitchen’ ou ‘dark kitchens’. Sous ces dénominations à la consonnance mystérieuse se cache une formule toute simple : une cuisine sans restaurant, dont la seule vocation est de préparer des repas destinés à la livraison.
En France, l’un des exemples les plus connus, Foodchéri, existait et cartonnait déjà avant le coronavirus.
Sous ces dénominations à la consonance mystérieuse se cache une formule toute simple : une cuisine sans restaurant, dont la seule vocation est de préparer des repas destinés à la livraison.
En pleine pandémie, la Belgique a fini par suivre le mouvement. Fait remarquable, ce sont ici les enseignes de la grande distribution qui ont lancé le mouvement. Colruyt a ainsi lancé Rose Mary en septembre 2020, un service de commande de plats préparés et livrés à vélo à Bruxelles. Un mois plus tard, Delhaize a emboîté le pas à Colruyt, en lançant un service similaire en collaboration avec la start-up Tastyoo.
Mais il y a aussi eu Wim’s Deli : connu pour ses restaurants de boulettes de viande Balls & Glory, Wim Ballieu fait désormais tourner leurs cuisines au service de cette nouvelle dark kitchen.
Les avantages des dark kitchens
Outre le fait que la demande augmente, qu’est-ce qui fait que restaurateurs, investisseurs, enseignes et start-ups sont si enclins à investir dans les ghost ou dark kitchens ? Pour nous, la chose est claire : le modèle semble plus facile à rentabiliser.
Les dark kitchens requièrent moins de m² et coûtent donc moins en loyer ;
Sans salle à meubler et décorer, les frais d’investissement et d’entretien sont moindres ;
Les frais de main-d’œuvre sont eux aussi réduits, puisqu’il n’y a pas de personnel de salle à rémunérer ;
Menaces et opportunités pour les ghost kitchens
De là à donner envie à certains restaurateurs de ne plus gérer que des restaurants take-away ou des dark ou ghost kitchens, il n’y a qu’un pas. S’ils sont nombreux à le sauter, nous pensons que l’impact se fera ressentir sur l’immobilier de la restauration.
Mais il y a plus : le choix food d’un consommateur ne sera plus lié à la présence physique d’un établissement food. Les hôtels remarquent déjà que leurs (jeunes) clients préfèrent se faire livrer des repas sur place via des sociétés de livraison, plutôt que d’utiliser leurs restaurants ou leur room-service. Une question de choix et de rapport qualité-prix, d’après l’agence HGEM, active dans l’expérience client. Les hôtels ont deux options : soit ils restent murés dans une indignation face à cette nouvelle tendance, soit ils tentent de la transformer en opportunité. La deuxième option nous semble la plus judicieuse. Nous imaginons même comment les food halls dans les shopping centers pourraient voir leur offre démultipliée avec des repas livrés sur place.
Reste que dans un tel scénario où le « food on demand » deviendrait la règle partout, il faudra prendre en main les défis liés à la livraison :
Tant devant les ghost/dark kitchens que devant les potentiels futurs lieux de livraison en masse, les espaces devront être repensés pour faciliter l’accessibilité pour les livreurs (parkings moto/vélo à proximité).
Les problèmes de qualité inconsistante liés à la livraison (retards, livraisons endommagées ou incomplètes, etc.) constituent eux aussi un problème récurrent, potentiellement nuisible pour l’image du restaurant ou dark kitchen. D’après une autre enquête de HGEM, 58 % des consommateurs estiment d’ailleurs que les retards de livraison relèvent tant de la responsabilité du restaurant que de la société de livraison.
Enfin, il reste un problème encore plus épineux et fondamental : la rentabilité.
Celle des dark kitchens : Si les frais sont limités dans le modèle dark kitchen, les prix pratiqués sont en moyenne moins élevés, et les marges restent donc très faibles. Aux États-Unis, royaume de la ‘convenience food’, certains restaurateurs ont essayé de renverser la tendance en augmentant les prix pour les repas livrés à domicile. Ce qui constitue un renversement de la logique dominante auparavant – le menu take-away un peu moins cher. La question sera sans doute de savoir ce que le client valorisera le plus à l’avenir : le cadre du restaurant ou le confort de la consommation à domicile.
Celle des applis de livraison : dans ce secteur très concurrentiel, aucune entreprise n’est rentable à l’heure actuelle.
À l’allure où se développe l’offre en ghost kitchens, on peut également se demander si on n’est pas en train de vivre un phénomène de ‘bulle’, qui pourrait exploser avec la concurrence grandissante et une pression intenable sur les prix.
Le scénario que nous espérons : après une phase de croissance avec une multitude d’acteurs différents s’en suivrait une autre de regroupements, de rachats et de fusions. Celles-ci pourraient déboucher sur une rationalisation des coûts et sur des économies d’échelle, grâce à des circuits performants et une logistique bien pensée (cuisines et stocks partagées, etc.). Peut-être que le salut passera par le soutien d’un groupe solide. L’avenir nous l’enseignera pour les initiatives de Delhaize et de Colruyt, ou encore le rachat de Foodchéri par Sodexo.
Les restaurants après la COVID-19 ?
Pour la restauration comme pour les autres secteurs que nous avons analysés, nous pensons qu’il n’y aura pas de retour (exact) au ‘monde d’avant’. Même quand le deuxième confinement sera terminé, des restrictions resteront d’application et la situation mettra longtemps à revenir plus ou moins à la normale. Pour autant, nous sommes persuadés que les restaurants physiques vont subsister, car ils offrent une expérience qui va au-delà de la simple consommation de nourriture. Mais nous recommandons à tous les acteurs du secteur de prendre en compte les nouvelles tendances, de s’y adapter, voire même d’avoir une longueur d’avance.
Concrètement, la clé pour des projets viables à long terme résidera notamment dans :
Un investissement continu dans la digitalisation. Nous sommes convaincus que tout commerce doit aujourd’hui devenir plus mobile et plus connecté. Développer un concept online-only (comme Wim’s Deli) peut être une bonne option.
Une stratégie omnichannel : offrir la possibilité de manger sur place, d’emporter son plat ou de se le faire livrer. C’est d’autant plus vrai pour la majorité des restaurateurs actuels, pour qui se concentrer uniquement sur la livraison n’a aucun sens à nos yeux. C’est d’ailleurs une approche qu’ont toujours eu les fast-food, pionniers de l’approche omni-channel (qui influence souvent leur localisation).